Pas de répit pour la relève agricole
Un texte de: Laurence Trahan
Photo : Radio-Canada / Laurence Trahan
Jongler entre le travail à la ferme et un emploi extérieur, c’est la réalité de la moitié des jeunes agriculteurs de l’Estrie, selon les données du ministère de l’Agriculture. Un phénomène particulièrement important dans la région exacerbée par un contexte économique difficile.
Tandis que 44 % des jeunes agriculteurs de la province avançaient avoir travaillé à l’extérieur de leur ferme en 2021, un jeune agriculteur sur deux vivait cette réalité en Estrie, selon le Portrait de la relève agricole.
Le président de la Fédération de la relève agricole du Québec, David Beauvais, en sait quelque chose. Il a lancé son entreprise Berge Air à Magog en 2019, où il produit du lait de brebis. Depuis, il ne compte plus ses heures.
“Quand j'ai démarré mon entreprise, ce n’était pas dans l'objectif d'avoir deux, trois jobs, se désole-t-il. C'était de vivre de l'agriculture, de vivre de ma passion.”
Une citation de David Beauvais, président de la Fédération de la relève agricole du Québec
Mais jusqu'à ce que ce rêve devienne réalité, il faudra être patient.
Pour l’heure, tous les profits de la bergerie laitière doivent être réinvestis dans l'entreprise. Le dur labeur n’est pas suffisant pour arriver à payer toutes les dépenses qu'implique la ferme.
Pour joindre les deux bouts, David Beauvais doit enfiler son uniforme de conseiller génétique jusqu’à quatre jours par semaine.
Pareille pour sa conjointe, Ariane France, qui s’est greffée au projet l’an dernier. Je dis souvent à la joke, le soir au lieu de regarder la télé, nous, on travaille avec nos animaux, souligne la copropriétaire, qui occupe un emploi à temps plein à l’extérieur de l’entreprise.
Ces doubles emplois coûtent d’ailleurs au couple la moitié d’une subvention de la Financière agricole du Québec, soit 25 000 dollars.
Faire ça quelques années, c'est bien, on est jeunes, mais ce n'est pas un mode de vie qu'on peut dire "on va faire ça dans les 20 et 30 prochaines années des horaires comme ça", témoigne David Beauvais.
Ce sacrifice n’est pas sans conséquence pour le développement des jeunes entreprises, remarque le producteur bovin. Passer plus de temps sur l'entreprise, ce serait bénéfique pour le développement, mais il manquerait de fonds. C'est difficile de trouver c'est quoi l'idéal.
Ça n'a pas de bon sens comme ça a augmenté
Le président de l’UPA Estrie, Michel Brien, ne s'étonne pas que cette décision s’impose maintenant pour la moitié des jeunes agriculteurs de la région.
Probablement que plusieurs vont devoir occuper un deuxième emploi toute leur vie parce que les valeurs ont tellement augmenté. Ça devient de plus en plus difficile, tranche-t-il.
Celui qui y a goûté pendant sept ans lors du démarrage de sa ferme laitière au tournant des années 2000 déplore que le contexte soit encore plus difficile pour la relève d’aujourd'hui. Ici, la ferme nue, sans équipement, sans rien, on avait payé 250 000 dollars et ce matin sur mon compte de taxes, c'est évalué à 1,7 millions.
Augmentation des prix de la machinerie, des intrants, des taux d'intérêt et dérèglement climatique : des défis herculéens attendent la relève agricole.
Des jeunes agriculteurs à bout de souffle
Le Syndicat de la relève agricole de l'Estrie (SYRAE) craint que les jeunes délaissent la profession.
Selon le portrait de la relève agricole du ministère de l'Agriculture, le nombre de jeunes agriculteurs âgés de 35 à 39 ans a chuté de 10 % en cinq ans pour s’établir à 46 % au Québec en 2021.
Le président du SYRAE, Joshua Mathieu-Lacroix, réclame un meilleur soutien. Si tu n'as pas de revenus qui reviennent, pourquoi continuer? C'est normal que tu tires la plug.
Le producteur David Beauvais est du même avis. Pour celui qui porte aussi le chapeau de président de la Fédération de la relève agricole du Québec, il ne faut pas pénaliser les agriculteurs qui sont forcés d’occuper un double emploi.
À l’heure actuelle, le programme d’appui financier à la relève agricole de la Financière agricole du Québec offre jusqu'à 50 000 dollars aux jeunes de la relève en fonction de leur niveau d’étude. Cette aide est toutefois coupée de moitié s'ils travaillent plus de 21 heures par semaine à l’extérieur de leur entreprise.
La Fédération de la relève agricole du Québec espère des changements. Elle plaide pour l’abolition de la notion de temps plein et de temps partiel. Si tu travailles en agriculture, tu travailles à temps plein, tranche David Beauvais.
Il souhaite aussi que les montants offerts via le programme d’appui financier à la relève agricole soient indexés à l’augmentation du coût de la vie.