Il va manquer d’eau dans plein d’endroits si on continue comme ça
À Mercier et à Saint-Rémi, en Montérégie, les agriculteurs creusent toujours plus profond pour trouver de l'eau.
Par: Thomas Gerbet
Tel que publié sur: ici.radio-canada.ca
Photo de couverture: Radio-Canada / Thomas Gerbet
Les fonctionnaires du ministère de l'Environnement s'inquiètent de la pression du milieu agricole sur la ressource en eau, dans plusieurs secteurs du Québec.
Dans le grenier du Québec, il devient de plus en plus difficile de trouver de l'eau pour irriguer la production maraîchère. Des agriculteurs ont même été contraints d'abandonner des cultures, cet été. Les mairesses de Mercier et de Saint-Rémi interpellent le gouvernement du Québec, parce que la nappe phréatique atteint des niveaux inquiétants pour la disponibilité de l'eau.
On aurait besoin de plus d’eau, dit l'agriculteur Christian Roy, qui nous montre un de ses étangs artificiels, sur ses terres de Mercier. Le producteur de légumes a récemment installé des kilomètres de tuyaux pour faire venir l'eau d'une sablière, mais ça ne suffit pas.
Début août, la ferme Gilles Roy a dû laisser mourir tous les concombres qui poussaient pour se concentrer sur l'irrigation des piments, des choux et des brocolis, plus rentables.
On utilise à 100 % nos réserves d'eau et il y a trop de champs à irriguer qui sont secs, donc le volume d’eau pompé et stocké dans l’étang n'est pas assez grand, explique-t-il.
L'agriculteur a aussi remplacé des pompes de ses puits par des plus puissantes, pour aller chercher l’eau plus profondément dans la nappe phréatique.
“C'est toujours de plus en plus dur de pomper de l’eau… Je suis à bout. Je suis fatigué. Je ne suis plus capable. [...] Si on n’a pas d’eau d’irrigation pour faire nos légumes, il n’y aura plus de légumes et on va manger des carottes de Chine.”
Une citation de Christian Roy, producteur maraîcher à Mercier
À Mercier, où 90 % du territoire est agricole, l'eau est une préoccupation constante, note la mairesse Lise Michaud. La nappe d’eau souterraine ne se recharge pas comme elle devrait se recharger. Elle est en constante diminution tout le temps.
Elle raconte que des résidents alimentés en eau par des puits, en zone agricole, les trouvent parfois à sec en raison de l'usage des maraîchers.
Les puits des agriculteurs s'assèchent, donc ils augmentent leur capacité de pompage, donc c'est comme un cercle vicieux. Il manque d’eau, donc ils vont chercher encore plus en profondeur, et puis nos résidents qui sont dans ces secteurs-là vont éventuellement manquer d’eau aussi.
L’agriculture est importante, mais l’eau aussi est importante
Lise Michaud constate que, de plus en plus, les agriculteurs maximisent leur production en drainant leurs terres, c'est-à-dire en retirant les surplus d'eau dans les sols, ce qui fait en sorte que la nappe ne se recharge pas comme elle devrait se recharger.
La mairesse a fait des interventions auprès des ministères de l'Agriculture et de l'Environnement, dans la dernière année, pour faire part de cette préoccupation, mais elle les a sentis mitigés. L’agriculture est importante, mais l’eau aussi est importante, lance-t-elle.
Ça nous pend au bout du nez. Il va manquer d’eau dans plein d’endroits si on continue à gérer notre eau comme ça. [...] On va frapper le mur.
Une citation deLise Michaud, mairesse de Mercier.
Au début du mois, Radio-Canada dévoilait un rapport interne du ministère de l'Environnement du Québec qui conclut que le développement de l'industrie de la canneberge menace de vider des rivières du Centre-du-Québec tellement elle est gourmande en eau.
Selon nos sources, des fonctionnaires du ministère sont préoccupés par la pression sur les ressources en eau dans certains secteurs du Québec, et Mercier en fait partie, tout comme Saint-Rémi.
Dans cette partie de la Montérégie, ce ne sont pas les cours d'eau qui sont sous pression des prélèvements d'eau, mais la nappe souterraine, où puisent autant les agriculteurs que les municipalités et les industries.
L’Union des producteurs agricoles (UPA) reconnaît, elle aussi, un problème particulier avec la production maraîchère de cette région. L’UPA réfléchit à des solutions pour que les agriculteurs améliorent leur gestion de l’eau.
On ne veut pas se retrouver comme en Europe
La mairesse de Saint-Rémi, Sylvie Gagnon-Breton, est également préoccupée par les effets du drainage des terres des producteurs maraîchers qui fait que la quantité d’eau qui retourne dans le sol est vraiment réduite d’année en année.
Sur son territoire, à 95 % agricole, elle constate aussi que de plus en plus les puits s’assèchent et il faut creuser plus profond.
La Ville de Saint-Rémi, qui fait face à un manque d'eau depuis des années, a décrété une pause de la construction résidentielle et industrielle, à l'été 2023, jusqu'à ce que de nouveaux puits soient creusés.
La mairesse a aussi interpellé le gouvernement pour obtenir le droit de recycler les eaux usées afin d'alimenter le secteur industriel, au lieu d'utiliser de l'eau traitée, mais le projet vient d'être refusé par Québec.
Cet été, la municipalité a instauré des patrouilles de nuit pour s'assurer du respect de l'interdiction d'arrosage, pour ne pas se retrouver comme en Europe, où les réserves de municipalités sont épuisées.
Des villes québécoises goûtent déjà à ce défi. À Sutton, la municipalité a alimenté son secteur de la montagne avec des citernes d'eau, cet été, parce que les réserves étaient presque à sec.
À Waterloo, un moratoire sur la construction résidentielle est réclamé, car la municipalité se rapproche de ses limites en eau.
“On joue un peu à l’autruche”, dit un expert
L'agronome Carl Boivin, chercheur spécialiste de la gestion de l'eau à l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA), confirme que dans la région de Mercier et de Saint-Rémi, la recharge, pour rétablir le niveau d’eau dans le sol, est insuffisante pour répondre au prélèvement.
On ne pourra pas indéfiniment prélever plus. C'est comme un compte bancaire, il ne peut pas toujours y avoir des retraits. À un moment donné, il va falloir qu’il y ait des dépôts.
Une citation deCarl Boivin, spécialiste de la gestion de l'eau à l'IRDA
Selon nos sources, le manque d'information sur les prélèvements d'eau des agriculteurs préoccupe des fonctionnaires du ministère de l'Environnement. C’est vraiment un problème, confirme Carl Boivin.
Au Québec, un agriculteur qui a la capacité de prélever au moins 379 00 litres d'eau par jour, ou qui prélève plus de 75 000 litres d'eau dans une journée, est obligé de déclarer au ministère de l'Environnement ses prélèvements. En dessous, l'information ne se rend pas aux fonctionnaires.
C’est clair qu’on n’a pas une bonne idée du portrait, dit Carl Boivin. En plus, Radio-Canada révélait récemment que certains producteurs agricoles, dans le cas de cannebergières, font des déclarations imprécises, voire trompeuses.
On joue un peu à l’autruche, indique M. Boivin.
Le ministère reconnaît qu'il est encore difficile pour lui d'avoir un portrait précis de l'usage de l'eau dans la province. Il a mandaté des chercheurs pour mieux estimer la consommation d’eau des différents usagers, afin de s'assurer que la ressource est suffisante pour tous les usages.
Carl Boivin espère qu'avec plus d'informations, on évitera de se retrouver dans 25 ans, à se dire : "Mon Dieu, qu'est-ce qu'on a fait".