Un jeune de 24 ans sauve la dernière ferme du village
Un texte de: Martin Ménard
Tel que publié sur La Terre de chez nous (laterre.ca)
Photo de couverture: Ferme de la Courbe
La dernière ferme laitière du village de Saint-Cléophas allait fermer et, possiblement, être démantelée, dans La Matapédia, dans le Bas-Saint-Laurent, avant que Maxime Paquet, qui ne provient pas du milieu agricole, décide d’acheter l’entreprise. « C’est un rêve un peu fou!, avoue Maxime. Être agriculteur, et travailler pour moi-même, c’est ça que je voulais faire. Mais je ne savais pas comment me partir. J’ai fait mes études à l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec, j’ai ensuite travaillé comme technicien pour Lactanet et, les fins de semaine, j’aidais dans des fermes laitières pour prendre de l’expérience. À 23 ans, j’ai fait des démarches pour trouver une ferme à vendre. J’ai finalement pris la relève d’une ferme dont la famille était là depuis 100 ans! » exprime fièrement M. Paquet, qui en est maintenant à sa quatrième année comme propriétaire de la Ferme de la Courbe.
Maxime Paquet a acheté la ferme en 2021 à l’âge de 24 ans et a travaillé à accroître la qualité des fourrages.
Joint par La Terre, l’ancien propriétaire, Robin Morin, se disait fort heureux de voir encore le nom de sa ferme ancestrale en vie. « C’était la ferme de mes parents et de mes grands-parents. Mes enfants n’y étaient pas intéressés, et démanteler était dans les scénarios. On aurait peut-être obtenu davantage au niveau financier, mais je souhaitais éviter le démantèlement. L’idée que la ferme continue avait beaucoup de valeur pour moi », exprime M. Morin. Ce dernier ajoute que sa municipalité aurait écopé devant la disparition de la dernière ferme d’importance, puisqu’il ne serait resté qu’un autre producteur, qui détient quelques bovins de boucherie. « À Saint-Cléophas, on est quand même dans un secteur éloigné. Je pensais aux gens du village. Ils en sont plus ou moins conscients, mais notre ferme amène une vitalité économique et d’occupation du territoire. Si on avait démantelé, cela aurait été une perte pour la région », assure M. Robin.
Entremetteurs
Robin Morin et sa conjointe, Annie Harrisson, ont contacté L’ARTERRE, un service de maillage axé sur l’accompagnement et le jumelage entre aspirants-agriculteurs et propriétaires. Pratiquement au même moment, Maxime Paquet donnait aussi son nom à L’ARTERRE. Le conseiller de L’ARTERRE dans la région, Jonathan Gagné Lavoie, a vu des points en commun entre les deux parties et les a vite réunies. Maxime a commencé, une fois par semaine, à traire les vaches avec le couple. « Ce que j’aimais avec L’ARTERRE, c’est qu’il y avait une structure pour ne pas se faire avoir. C’était prévu que j’étais payé pour mes heures travaillées à la ferme. On avait aussi des rencontres structurées et planifiées pour que je devienne propriétaire. Car j’ai vu beaucoup de jeunes qui ont travaillé pendant des années à des salaires dérisoires en se faisant promettre que la ferme allait être à eux, mais ils ne l’ont jamais eu et ont fait tout ça pour rien. Moi, j’ai été chanceux, je suis tombé sur du bon monde », détaille Maxime au sujet de Robin et Annie. Ces derniers lui ont même financé le tiers du coût total de l’entreprise comme mise de fonds. « Sans ça, la transaction n’aurait jamais marché », remercie Maxime. Les anciens propriétaires l’ont également aidé à accomplir les tâches et continuent de le faire; Robin conduit la machinerie lors des chantiers de récoltes de plantes fourragères, Annie a aidé Maxime à réaliser une bonne partie de sa comptabilité.
Le stress d’être seul
Malgré l’aide des anciens propriétaires, la transaction a donné le vertige au nouvel agriculteur, qui a eu seulement cinq mois de pratique à temps plein avant de prendre entièrement les commandes de l’entreprise. « J’avais vu comment toutes les machines fonctionnaient, mais pas comment les réparer! L’idéal aurait été que je travaille là deux ou trois ans pour bien apprendre. Eux voulaient vendre rapidement, alors je suis passé de quelqu’un qui aidait au rôle de propriétaire d’un coup », témoigne la relève. Histoire d’ajouter un peu de stress, Maxime a sauté sur l’occasion d’accroître les volumes de lait dès ses premiers mois, en vertu du prêt de quotas offert aux jeunes par Les Producteurs de lait du Québec.
Quand l’hiver est arrivé, les vaches se sont mises à faire beaucoup de lait, car la génétique du troupeau était capable de répondre à cette demande de plus. Ce n’était pas des vaches pour passer dans des revues, mais de bonnes vaches pour faire du lait. C’était positif, j’étais encouragé, mais l’équipement de traite était vieux et ne suivait pas [l’augmentation des volumes]. Un moment donné, je suis devenu sur les nerfs, je ne savais pas par quoi commencer. Je faisais la traite tout seul au début et je me demandais dans quoi je m’étais embarqué…
Maxime Paquet
Le réservoir à lait a été changé après deux mois, des trayeuses avec retrait automatique ont également été acquises. Le jeune agriculteur a aussi amélioré le confort des animaux par l’ajout de matelas et de nouvelles mangeoires, l’amélioration de la ventilation, etc. La performance des prairies a été revue afin d’offrir des plantes fourragères plus appétentes et nutritives. Ces efforts ont stimulé la production laitière des vaches, qui est passée de 9 900 kg de lait à 12 500 kg par année aujourd’hui. Les conseils des anciens propriétaires ont aidé. « Avant de commencer à changer quelque chose, je m’arrangeais pour maîtriser et comprendre ce que [les anciens propriétaires] faisaient. Il y a des façons de faire que j’ai changées qui ont donné de bons résultats, mais il y a des affaires où je suis revenu en arrière. On va se dire la vérité : mon manque d’expérience m’a coûté de l’argent. Et quand tu es tout seul dans une ferme, sans parents avec toi, il y a l’avantage que tu fais ce que tu veux, mais tu n’as personne qui te conseille et qui prend une décision avec toi. Oui, j’ai des conseillers, mais parfois tu ne sais pas si tu prends une bonne ou une mauvaise décision, mais il faut que tu en prennes une pareil. » À ce sujet, la formule choisie pour le partage du leadership entre les cédants et la relève s’est révélée un atout, assure Maxime Paquet. « On a mis ça au clair dès le début : quand je travaillais pour eux, ils avaient 100 % des parts et prenaient 100 % des décisions, et quand j’ai acheté, j’ai eu 100 % des parts et je prenais 100 % des décisions. De cette façon, ça attire moins les chicanes et les conflits intergénérationnels. Ce fut un gros point fort », signale-t-il.
L’obligation de la croissance
Maxime cherchait au départ une petite ferme, afin qu’elle soit abordable. Il savait toutefois que le défi, avec une ferme ayant un faible contingent de production de 43 kilos, demeure la qualité de vie. « Un petit troupeau, tu es capable d’en vivre, mais tu n’es pas capable d’engager personne. C’est pour ça que je me suis poussé à grossir. Je ne pouvais pas demander à mon frère et mes parents de toujours m’aider. Si je veux une qualité de vie un jour, et si je veux améliorer la rentabilité, il faut grossir », témoigne celui qui a justement réalisé un agrandissement de 15 vaches à son étable et construit une fosse à fumier de plus grande capacité. L’efficacité du travail est également sous sa loupe afin de produire plus de lait avec le même nombre d’heures travaillées. Distribuer la paille sous les vaches prenait 30 minutes chaque jour à la main, contre 5 minutes maintenant avec un chariot mécanique, glisse-t-il, en exemple. Après quatre ans, il a fait passer la production de 43 à 72 kilos et vise éventuellement 100 kilos, sauf que les investissements créent une pression financière. Sa progression et les gains d’efficacité lui donnent cependant confiance. « Avant, j’allais dans des réunions de producteurs laitiers et je me trouvais un peu comme un imposteur. Aujourd’hui, je sais où est ma place : je sais que je suis un agriculteur. »
Un honneur de voir la ferme continuer
« Quand mes grands-parents sont arrivés, en 1923, il y avait un peu de terre de défrichée, mais c’est mon grand-père Oscar et mon père qui ont défriché le plus. Mon grand-père a épierré les champs à la main et avec les chevaux. Défricher la terre, c’était pour eux une façon de se sauver la vie. Je suis certain qu’ils sont attachés à cette terre et que s’ils pouvaient en témoigner, le fait que tout ce qu’ils ont fait n’ait pas servi à rien et de voir que leur ferme et leur terre continuent, c’est un honneur », dit Robin Morin, qui a vendu sa ferme familiale à Maxime Paquet, un jeune inconnu, qui est cependant devenu un être cher aux yeux du couple. « Maxime est quasiment devenu un fils spirituel pour nous. Encore aujourd’hui, ça fait quatre ans qu’on a vendu, et j’aime bien aller l’aider et aller à la ferme; ça me permet de faire une transition en douceur », exprime l’ancien producteur de lait. Si son père et son grand-père sont fiers, du haut des airs, de passer au suivant les terres qu’ils ont défrichées, Robin Morin et sa conjointe, Annie Harrisson, caressent pour leur part cette petite fierté de voir le troupeau laitier qu’ils ont élevé offrir de bonnes performances à leur successeur. « Ma femme et moi avons construit une solide génétique de troupeau. On était fiers de notre troupeau. Démanteler, on n’aurait pas aimé ça. Aujourd’hui, on vit très bien à regarder notre troupeau continuer. »