Et si on réinventait la gestion de l’offre ?

Opinion de Yoan Bourgoin - Chroniqueur environnemental, Acadie Nouvelle

(La Presse)

Photo de couverture: Alain Roberge, Archives La Presse (Agriculture biologique à Saint-Fulgence, au Saguenay–Lac-Saint-Jean)

À moins de travailler dans le milieu agricole ou de s’intéresser de près à l’économie agroalimentaire, la gestion de l’offre est le genre de sujet qui passe sous le radar. On en entend vaguement parler, sans trop s’y attarder.

Ces temps ci, pourtant, elle refait surface. Cette fois, c’est une crise commerciale avec les États-Unis qui ranime la discussion. Depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, le ton a vite monté. Le président, fidèle à lui-même, accuse à tort le Canada d’imposer des tarifs « injustes » sur les produits laitiers américains. Un refrain qu’il connaît par cœur, et qu’il chante fort.

Ici, la gestion de l’offre est souvent défendue avec passion. Elle protège les revenus des producteurs, stabilise les prix, évite la surproduction. Pour certains, c’est un petit miracle de politique agricole. Pour d’autres, un pilier de notre souveraineté alimentaire.

On rappelle souvent que, sans elle, des milliers de fermes auraient disparu, et c’est sûrement vrai. Mais la question mérite d’être posée : qu’est-ce qu’on protège, exactement ?

Car ce système, aussi ingénieux soit-il, repose sur la production massive de lait, d’œufs et de volaille. Des aliments issus d’animaux, produits selon des méthodes industrielles, dans des conditions souvent invisibles au grand public. Or, en 2025, le portrait a changé. La crise climatique s’intensifie dangereusement, les effets de l’agriculture animale sur la biodiversité sont de plus en plus clairs, et une génération entière remet en question son rapport à l’alimentation. Dans ce contexte, le modèle actuel commence à avoir des allures de vestige d’une autre époque.

Il ne s’agit pas de montrer du doigt les agriculteurs – bien au contraire. Ce sont souvent eux qui subissent les contrecoups d’un système qui en demande toujours plus, avec toujours moins.

Des cultures adaptées aux défis actuels

Mais justement, pourquoi ne pas mettre à profit cette mécanique bien rodée qu’est la gestion de l’offre pour accompagner une vraie transition écologique ? Pourquoi ne pas élargir cette protection à des cultures végétales, durables, issues de nos régions ? Et pourquoi ne pas offrir un réel soutien aux producteurs qui souhaitent se retirer de l’élevage animal intensif pour se consacrer à des cultures mieux adaptées aux défis d’aujourd’hui ? Vous savez, ceux qui rêvent de faire autrement, de cultiver des aliments qui nourrissent directement les gens, sans passer par l’abattoir.

C’est d’ailleurs dans cette direction que certains organismes proposent déjà d’aller. Équiterre, par exemple, suggérait dès 2020 qu’on pourrait faire évoluer la gestion de l’offre vers une agriculture plus diversifiée, plus verte et moins dépendante de l’élevage. Cette idée n’a rien de révolutionnaire. Elle suggère simplement d’utiliser les outils existants – quotas, régulation, soutien des prix – pour favoriser des productions alignées avec les défis de notre époque. On pense aux légumineuses, aux protéines végétales, aux cultures biologiques locales. Des aliments qui nourrissent bien, et qui, surtout, abîment moins.

Protéger les agriculteurs, bien sûr que c’est essentiel. Mais encore faut-il se demander ce qu’on protège, et pourquoi. Il est possible de le faire tout en accompagnant une transition agricole ambitieuse. Et des exemples existent.

En Suisse, aux Pays-Bas, certaines subventions sont déjà liées aux pratiques agricoles faibles en carbone. Dans plusieurs pays, dont la France et l’Allemagne, on commence même à valoriser les aliments d’origine végétale dans les politiques publiques.

La gestion de l’offre ne devrait pas être figée. Elle devrait être vivante. Adaptable. Capable de refléter non seulement les intérêts économiques, mais aussi les valeurs collectives en évolution : justice sociale, santé, durabilité environnementale, bien-être animal.

Réinventer ce modèle ne signifie pas l’abolir. Cela signifie lui redonner du sens.

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