Des éleveurs changent de philosophie de travail avec la Jersey

un texte de: Patricia Blackburn

Tel que publié sur La Terre de chez nous

(Photo de couverture: Gracieuseté de la Ferme Pointue - sur la photo: Luc, David et Marc Lapointe)


Depuis une dizaine d’années, la race Jersey ne cesse de gagner en popularité dans les fermes du Québec et du Canada, alors que le nombre d’animaux enregistrés chez Jersey Canada est en constante progression.

Ce nombre était d’environ 3 000 têtes en 2016, alors qu’il est de près de 5 000 aujourd’hui.

« C’est presque le double, se réjouit Jarold Dumouchel, directeur général de Jersey Québec. » Son collègue Jean-Marc Pellerin, conseiller pour Jersey Canada, spécifie que ces enregistrements, bien qu’ils ne représentent pas l’ensemble du cheptel de Jerseys, donnent un bon aperçu de la progression de la race dans les fermes de la province. Celle-ci représentait 2 % du cheptel de vaches laitières en 2001, alors que cette proportion atteint 4 % aujourd’hui, précise-t-il. Cela se traduirait grosso modo par 19 000 vaches de race Jersey au Québec, incluant les génisses, sur un nombre total de vaches laitières qu’Agriculture Canada évalue à 481 100 têtes.

M. Dumouchel observe « un peu de tout » parmi les producteurs qui décident d’aller vers la Jersey, comme des jeunes de la relève qui démarrent leur projet dans une vieille étable trop petite pour des Holsteins, d’autres qui ajoutent quelques Jerseys à leur troupeau. « Mais un changement intégral d’un troupeau de Holsteins vers la Jersey, on en a au moins un par année », rapporte-t-il.

Changement complet

C’est notamment ce qu’ont fait les propriétaires de la Ferme Pointue, à Saint-Maurice, en Mauricie, en 2023. Une décision principalement motivée par une question d’espace, car la Jersey a un gabarit entre 20 % et 30 % plus petit que la Holstein. « On voulait passer en stabulation libre, mais notre bâtisse était trop petite pour notre troupeau de Holsteins. À force d’en parler, on a calculé, avec notre ingénieur, qu’on serait capables de faire les rénovations et d’installer un robot de traite avec un troupeau de Jerseys », explique Luc Lapointe, copropriétaire de la Ferme Pointue.

Vendre d’un coup son troupeau Holstein à l’encan a été une expérience bouleversante, admet-il, mais cette stratégie a permis aux propriétaires de réaliser de grandes économies, puisque la construction d’une bâtisse neuve leur aurait coûté deux fois plus cher. Leur production de lait, quant à elle, est aujourd’hui équivalente à ce qu’elle était avec leurs vaches Holsteins, bien qu’avec « 3-4 vaches de plus dans le troupeau », spécifie celui qui estime qu’il s’agissait là du meilleur choix dans leur situation.  


À la Ferme Laroselait, à Verchères, en Montérégie, Mathieu Larose a aussi fait cette transition pour des raisons similaires, quoique de manière plus progressive. Quand il a commencé à travailler avec son père, dans les années 2000, il a décidé de convertir une étable devenue trop petite pour les Holsteins afin d’y héberger un troupeau de Jerseys. « On avait avantage à aller vers une race plus petite pour cette étable, mais une fois qu’on a fait ce move, on a décidé que l’on continuerait dans la Jersey. On a modifié les installations des autres bâtiments pour répondre au standard de cette race. Je trouvais que c’était une race d’avenir. Avec le prix des composantes, c’était plus avantageux, parce qu’elle mange moins, en plus d’être plus efficace, parce qu’elle produit plus de matière grasse pour le même nombre de kilos de lait. Ç’a été une vision d’affaires plus qu’une question de préférence pour la race », indique le producteur, qui n’a depuis jamais regretté ce choix. Son troupeau compte aujourd’hui 230 Jerseys, dont 130 en lactation.

Une autre philosophie de travail

Ces deux producteurs estiment que de travailler avec la Jersey est « plus relax », une fois, bien sûr, que la régie du troupeau est bien installée. « Elles sont têtues, mais aussi très amicales, alors que les Holsteins sont un peu plus nerveuses », constate M. Lapointe. Le petit gabarit de la Jersey facilite la manipulation du troupeau en stabulation libre, alors que cette vache semble toute destinée au robot de traite, auquel elle s’adapte rapidement grâce à sa nature curieuse et compétitive à la mangeoire. « Et quand on rentre dans l’étable, il n’y en a pas une qui beugle et elles viennent nous voir. Notre vétérinaire se méfiait toujours quand on avait les Holsteins. Là, il dit que le pire qui peut arriver, c’est que les vaches le lèchent », illustre le producteur.  

Leur résistance aux maladies serait toutefois moindre que celle des Holsteins, selon ce qu’il a pu expérimenter jusqu’ici, le forçant à intervenir dès les premiers symptômes pour éviter que la vache « tombe ».

Mathieu Larose insiste, quant à lui, sur l’attention spéciale qui doit être portée à l’équipement que les vaches pourraient « mâchouiller » dans la ferme. « Il faut que l’étable soit Jersey proof, s’amuse-t-il à dire, car ce sont de vrais rongeurs. J’ai dû utiliser des tuyaux hydrauliques métalliques parce qu’elles perçaient ceux en caoutchouc », donne-t-il en exemple.

C’est une plus petite vache que la Holstein. Il en faut donc 10 % de plus pour produire la même quantité de lait, mais ça coûte 20 % moins cher en alimentation. C’est majeur.

-Jean-Marc Pellerin

Des équipements faits pour les Holsteins

Jarold Dumouchel, de Jersey Québec, spécifie qu’il y a d’ailleurs encore du travail à faire pour mieux faire connaître les spécificités de cette race, entre autres auprès de firmes de construction de bâtiments agricoles, car la plupart des équipements sont faits pour la Holstein, qui domine encore largement le territoire québécois, canadien et américain (voir l’encadré).

L’organisation donne aussi des formations auprès d’institutions, comme La Financière agricole du Québec, car les représentants ne savent pas toujours comment évaluer la rentabilité d’un projet de production laitière avec des vaches Jerseys, soutient M. Dumouchel.



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