jeudi 24 février 2011

Le Nunavik en pleine crise alimentaire

(par Yves Allard)

La décision du gouvernement fédéral de ne plus subventionner le transport des denrées non périssables à la population nordique a des conséquences majeures. À Puvirnituq, au Nunavik, le coût d'un sac de 2kg de sucre a récemment bondi de 2,11$ à 14,74$... la facture d’épicerie des gens du nord a en moyenne presque doublé en moins de 6 mois… Acceptable? Plutôt révoltant selon l’avis de plusieurs. 

« Depuis octobre, dans le Nord du Québec, les prix des conserves, riz, pâtes, café, confitures, couches et savons atteignent des sommets » pouvait-on lire dans le journal La Presse.

Le nouveau programme du gouvernement ne subventionne plus que les aliments frais et sains… C’est sûrement bien beau sur papier, mais les conserves (fruits, légumes, viandes et soupes), l'eau, le savon, le papier de toilette, les couches pour bébé, etc. ne sont donc désormais plus admissibles aux subventions. Il ne s’agit peut-être pas de produits frais et sains, mais nous parlons tout de même de produits quasi essentiels, non?

À Kuujjuaq, 1,36L de jus de tomates Heinz se vendait  5,42$ il n’y a pas si longtemps… Cette semaine, j’ai pu le trouver à 99¢ chez Loblaws… Toute une différence, n’est-ce pas? Mais si je vous disais que ce même produit se vend maintenant 8,51$ dans une épicerie de cette ville du nord, comment vous trouvez ça?

«C'est inconséquent, immoral, tranche Yvon Lévesque, député bloquiste d'Abitibi-Baie-James-Nunavik-Eeyou, qui demande à Ottawa de revoir sa position. La hausse des prix va faire mourir des gens qui n'ont pas les moyens de se nourrir convenablement.»

Même son de cloche de la part de Gérard Duhaime, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la condition autochtone comparée de l'Université Laval «Je suis un chercheur, habitué de prendre mes distances, mais là, ça me révolte» dit-il.

Du Cheez Whiz à 19,19$, du beurre d'arachide Kraft à 17,69$, du papier hygiénique à 15,39$, 4 x 4 L de lait 2% à 73,08$ à compter du 1er avril alors qu’il en coûtait 15,15$ il n’y a pas si longtemps, même chose pour 24 x 500g de spaghetti Catelli qui est passé de 13,45$ en octobre à 92,20$... Et la liste continue! Ces hausses sont dramatiques pour la population et l’'impact est majeur.

Évidemment, il y a des raisons derrière cette décision du gouvernement fédéral. En 5 ans, l’augmentation de la population nordique combinée à celle des tarifs de frets aériens aurait fait doubler les coûts reliés à ce programme, les faisant passer de moins de 30 millions qu’ils étaient en 2003, à 58 millions en 2008-2009.

Mais le programme de subventions  Aliments-poste, géré par Postes Canada et en place depuis maintenant 50 ans, sera remplacé par le nouveau programme Nutrition Nord Canada. Avec celui-ci, depuis le 3 octobre dernier, seuls «les aliments périssables les plus nutritifs», comme les fruits et légumes frais, sont désormais financés. Environ 75% des denrées ont donc été exclues de la liste de produits subventionnés, selon Robert Pelletier, président des Consultants de l'Arctique, une entreprise spécialisée dans l'approvisionnement des communautés nordiques.

À compter du 1er avril, les subventions seront versées directement aux détaillants et grossistes. Ces derniers  négocieront donc eux-mêmes avec les compagnies aériennes ce qui en coûtera pour faire parvenir les denrées.

«Le nouveau programme est dorénavant un modèle rentable axé sur le marché qui assurera une plus grande efficacité et davantage de transparence», précisait Ottawa en lançant Nutrition Nord en mai dernier.

Geneviève Guibert, porte-parole du ministère des Affaires indiennes et du Nord, mentionne qu’un budget annuel récurrent de 60 millions est maintenant prévu et que « …les sous qu'on a, on va les utiliser de façon beaucoup plus efficace s'ils sont entre les mains des gens du Nord» .

Mais semble-t-il que l’un des problèmes «c'est que les marchands du Nord n'ont pas eu le temps de s'adapter», explique le Dr Serge Déry, directeur de la santé publique du Nunavik. Bien que l’on pourrait, par exemple, faire livrer par bateau à moindre coût certains aliments, cette option n’est possible qu’en été. De sorte que, pour travailler dans cette optique, il faudrait que les marchands aient des entrepôts pour stocker les aliments… Pour ce faire, il faudra investir des sommes importantes et s’assurer de pouvoir chauffer adéquatement ces entrepôts.

Ce dernier élément est d’ailleurs loin d’être un simple détail puisque, par exemple, la facture d'électricité annuelle du magasin de la North West Company, à Iqaluit, s'élève à 1 million par an, comparativement à 200 000$ pour une surface semblable dans le Sud, selon le rapport d'évaluation d'Aliments-poste.

Finalement, bien qu’il y aura peut-être moyen de corriger la situation actuelle à l’aide du nouveau programme (du moins en partie), en ce moment, les gens de ces régions nordiques se retrouvent dans une position qui affecte considérablement leur quotidien.

On parle ici d’achats de tous les jours, de denrées que tous devraient pouvoir se procurer. Et bien que ces produits ne fassent pas partie de la liste des « aliments périssables les plus nutritifs », essayer de faire votre marché sans en acheter un seul pour le fun…

Quand tes revenus ne changent pas et que tout à coup tu n’as plus les moyens de te faire un spaghetti ou d’acheter le pot de beurre d’arachides que ton kid te demande… Même si on te dit que la situation devrait se replacer à un moment donné car il y a un « nouveau programme », pas sûr que tu puisses garder le moral ou même la santé. Alors j’espère sincèrement que ceux qui sont en position de faire quelque chose pour remédier à la situation actuelle de ces gens, le feront sans plus attendre… Une crise, c’est une crise… Ça demande une intervention immédiate.

(Merci à Marie Allard (La Presse) d’avoir porté cette situation à notre attention.)

 

J’ajoute une liste de produits dont l'expédition n'est plus subventionnée *

>Conserves de fruits, légumes, viandes, poissons, légumineuses, soupes

> Riz, pâtes sèches, farine

> Crème, fromage à la crème, crème glacée, yogourt glacé, fromage fondu à tartiner

> Eau

> Épices, sel, sucre, levure, café, thé

> Confiture, miel, sirop, condiments

> Couches, lingettes, papier hygiénique, produits d'hygiène féminine

> Dentifrice, shampooing, savon, lotion, déodorants, détergents, etc.

Au total: 2700 produits ne sont plus subventionnés, selon la North West Company, citée par le journal Nunatsiaq d'Iqaluit.

(*source : Cyberpresse.ca)

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